Histoires courtes

Ma poule est émotive

Dans mon jardinet, j’ai mis une poule. Elle est si grasse que je l’ai baptisée Kouign-Amann.

Quand elle se déplace, on dirait un lutteur de sumo qui traverse un champ de mines avec des gloussements d’animateur radio.

Je ne m’en séparerais pour rien au monde.

Chaque soir, nous avons notre petit rituel.

Je me rends au fond du jardin pour humer la douceur de l’air et écouter s’endormir le jour. Là, face à la haie d’arbustes, je pisse tout en pensant à l’éventuelle existence de Dieu.

Kouign-Amann me guette.

Dès qu’elle m’entend, elle sort de son enclos, se précipite vers moi, se dresse sur ses ergots et, immobile, m’observe d’un œil tendre.

Après avoir humidifié les herbes, je pose ma main sur sa tête en murmurant : je t’aime, Kouign-Amann.

Alors elle tourne sur elle-même telle une toupie en perdition, puis s’arrête brusquement et dépose un œuf tout chaud.

C’est bien simple : chaque soir, je caresse la crête rouge de ma poule, et mon dîner est prêt.

On mésestime l’émotivité de la poule.

Mon chat me ment

Je crois que mon chat me ment.

Bien sûr, il fait ce que font tous les chats. Il se met en pelote pour dormir, s’étend sur le radiateur pendant les journées d’hiver, gratte le paillasson avec ses griffes, ronronne et se déhanche si mes doigts caressent son cou. 

Comme un vrai chat.

Mais je pense qu’il me ment. Il joue à être un chat mais ce n’est pas un chat.

J’attends le moment où il se trahira.

Ce matin, je suis en train de prendre mon petit-déjeuner. Il est allongé le long de la fenêtre. Je lui tourne le dos, concentré sur la tartine de pain grillé que j’essaie de beurrer.

Soudain, j’entends une voix derrière moi, au timbre bas, tel un doux feulement.

– Laurent

Je me retourne. Ses deux yeux ronds et dorés sont fixés sur moi.

– C’est terminé entre nous, fous le camp !

De sa patte gauche, il désigne la porte d’entrée. Je remarque ma valise. Elle n’y était pas il y a un quart d’heure.

– Mais pourquoi ? balbutiai-je.

Il se lève, saute sur le carrelage et passe devant moi d’un air hautain, la queue levée.

– Aucune cohabitation n’est possible entre un chat poète et un humain triste et con.

Je le savais. Je savais que mon chat me mentait, qu’il n’était pas ce qu’il paraissait être. 

Alors, redressant la tête et refrénant mes larmes, je me dirige vers l’entrée, saisis ma valise, et sors en claquant la porte.

Sans lui jeter un seul regard.

On a sa fierté, quand même.